Le désintérêt des jeunes pour la politique : un problème d’information plus que de confiance ?
Écrit par : Ahmed El Yachkouri

Lorsqu’on évoque le désintérêt des jeunes pour la politique, on rejette systématiquement la faute sur les partis politiques, en les accusant de manquer de transparence et de ne servir que leurs propres intérêts.
Cependant, du côté de la jeunesse, le véritable problème ne réside pas uniquement dans un manque de confiance envers les acteurs politiques, mais surtout dans un déficit d’information à leur sujet. Aujourd’hui, la priorité est d’informer, d’éduquer et d’expliquer ce qu’est la politique, quelles sont les institutions politiques et quel est le rôle des partis politiques. On considère souvent la politique comme un domaine réservé aux « anciens », alors qu’en réalité, elle est profondément liée aux jeunes, puisqu’elle concerne directement leur avenir. D’ailleurs, selon le rapport du Haut-Commissariat au Plan (HCP), la tranche d’âge 15-34 ans représente 32 % de la population marocaine.
Deux obstacles majeurs freinent l’implication des jeunes dans la politique :
- Les partis politiques ne font pas l’effort d’aller vers eux.
- Les jeunes ne prennent pas l’initiative d’aller vers les partis.
Cela crée un cercle vicieux qui se perpétuera tant qu’aucune initiative ne sera prise des deux côtés.
Résultats d’un sondage mené auprès de 650 jeunes (15 à 34 ans)
Parmi les 100 réponses recueillies :
Niveau d’intérêt :
- 7 % ne s’intéressent pas du tout à la politique
- 44 % se déclarent très intéressés
- 48 % sont modérément intéressés
➡️ 55 % se montrent peu ou pas intéressés, contre 44 % qui le sont activement.
Le faible taux de réponse (100 sur 650) illustre déjà une forme de désintérêt.
Suivi de l’actualité politique :
- 40 % s’informent quotidiennement
- 34 % une fois par semaine
- 22 % rarement
- 4 % jamais
Pourtant, 71 % ressentent de l’intérêt et de la curiosité lorsqu’ils entendent parler de politique.
Raisons du désintérêt :
- 9 % pensent que leur avis n’a aucun impact
- 18 % déclarent manquer d’informations
- 17 % ne font pas confiance aux hommes politiques
- 24 % évoquent l’ennui, d’autres priorités ou la complexité du sujet
Pourquoi certains jeunes s’intéressent-ils à la politique ?
Ahmed El Yachkouri
Parmi ceux qui s’intéressent à la politique :
- 26 % cherchent à comprendre les enjeux qui impactent leur quotidien
- 23 % trouvent cela stimulant
- 19 % y voient un intérêt académique ou professionnel
- 16 % croient que leur engagement peut avoir un impact
- 8 % sont influencés par leur entourage
- 4 % font confiance aux hommes politiques
➡️ 68 % estiment que les politiciens ne représentent pas du tout leurs préoccupations, contre 16 % qui leur font confiance.
Le rôle de la famille dans l’intérêt politique des jeunes
Discussions en famille :
- 45 % parlent rarement de politique
- 42 % en parlent régulièrement
- 13 % n’en parlent presque jamais
Influence de la famille :
- 27 % déclarent avoir été influencés positivement
- 4 % ont ressenti une influence négative
- 55 % disent que leur famille n’a eu aucun impact
Participation électorale des familles :
- 25 % votent systématiquement
- 22 % régulièrement
- 26 % rarement ou jamais
➡️ Le désintérêt ne découle pas forcément de l’entourage, mais d’une construction personnelle.
Un manque d’éducation civique inquiétant
Niveau de connaissance :
- 72 % ont des connaissances moyennes, faibles ou inexistantes
- 28 % ont une bonne ou très bonne connaissance
Cours d’éducation civique :
- 44 % au collège/lycée
- 26 % à l’université
- 30 % jamais eu
Ce déficit éducatif est préoccupant. Comme le disait Marcus Garvey :
« L’éducation est le moyen par lequel un peuple se prépare pour la création de sa civilisation propre et aussi l’avancement et la gloire de sa propre race. »
Vers une « Éducation Bêta » : un nouveau modèle d’apprentissage politique
Il est proposé d’instaurer une « Éducation Bêta », continuité de la citoyenneté enseignée au primaire. Cette approche permettrait :
- De former des citoyens informés et engagés
- De développer une meilleure compréhension des institutions
- D’apprendre à distinguer les sources fiables des fake news
Accès à l’information :
- 44 % consultent régulièrement des sources fiables
Mais : - 31 % ne savent pas où chercher
- 19 % trouvent cela trop compliqué
- 6 % ne cherchent pas à s’informer
Les réseaux sociaux (96 %) restent la principale source d’information, suivis des médias traditionnels (55 %), mais :
- 49 % trouvent l’information compliquée
- 37 % la jugent trop technique ou biaisée
Quelles solutions pour réconcilier les jeunes avec la politique ?
Selon le sondage, 69 % veulent une information plus claire et accessible.
Propositions :
- 22 % souhaitent une meilleure communication des partis politiques
- 19 % veulent des débats plus compréhensibles
- 22 % réclament des figures politiques jeunes et proches
- 15 % plaident pour une meilleure éducation civique
Des initiatives internationales inspirantes
Scandinaves :
- Intègrent l’éducation civique dès l’enfance
- Simulations de votes et débats à l’école ➡️ En Suède, 80 % des 18-24 ans votent.
Canada :
- Outil « Vote Compass » pour situer ses idées politiques ➡️ Encourage l’engagement et la compréhension du processus démocratique
Les initiatives marocaines pour impliquer les jeunes
- Jeel 2030 (PAM) : promeut l’engagement civique
- Viral (Medi1TV) : vulgarisation via des influenceurs et formats interactifs
➡️ Des efforts sont faits, mais beaucoup reste à faire :
Meilleure éducation civique, communication engageante, et espaces de débat ouverts.
Redonner aux jeunes le goût de la politique : un défi à relever dès aujourd’hui
Le désintérêt des jeunes n’est pas une fatalité, mais le fruit :
- D’un manque de pédagogie
- D’un déficit de représentativité
- D’une exclusion historique de la vie publique
Solutions :
- Éduquer à la politique dès le plus jeune âge
- Communiquer avec des formats accessibles
- Présenter des élus proches de la jeunesse
L’expérience scandinave et canadienne montre que des approches éducatives novatrices fonctionnent.
Au Maroc, des initiatives émergent, mais il faut aller plus loin pour faire des jeunes des acteurs du changement.
Seule la capacité du Maroc à intéresser sa jeunesse peut en faire un pays qui va de l’avant. Il ne s’agit pas seulement de les inciter à voter, mais de leur donner les moyens d’être des citoyens éclairés et engagés.
Car si la jeunesse est l’avenir du pays, elle en est aussi le présent.